Les Juifs espagnols et l’origine des Juifs du Maroc
Tribune à Radio JM à l’occasion de la conférence de Yigal Bin-Nun, historien israélien, Université de Paris VIII
Conférence à Marseille le Mercredi 5 mai 2010 à 19h30
Au Centre Culturel Edmond Fleg
JUDAÏ-CITE, 4 Impasse Dragon 13006 Marseille

Avant de parler des Juifs espagnols, il faut d’abord traiter de l’origine des Juifs du Maroc. Il faut aussi rappeler que les habitants de l’Afrique du Nord sont tous à l’origine des Berbères. La conquête arabo-musulmane n’a laissé sur place que peu de soldats venus de l’Arabie et de l’Orient arabisé. Néanmoins, la civilisation arabe et la religion musulmane réussirent à s’implanter dans les villes, à les arabiser, et à les islamiser. Par contre, de grandes franges de la population autochtone restèrent berbérophones jusqu’à ce jour. Il va sans dire que la scolarisation et les media tendent à propager de plus en plus l’arabisation officielle, qui parfois s’affronte à un mouvement de renouveau berbériste. Je n’utilise le terme de berbère, que pour plus de commodité, à la place du terme plus précis, les Imazighen.
Quand à l’origine des Juifs d’Afrique du Nord, il est nécessaire d’élucider un mythe assez répandu dans les medias actuels. Avant même la destruction de Jérusalem en l’an 70 par les Romains, et la perte de l’indépendance, une diaspora judéenne existait déjà en Afrique du Nord. En plus de ces Judéens, il faut prendre en compte l’attrait qu’avaient les gentils, ou les païens, pour l’antique culte judéen. Cet attrait engendra un vaste mouvement de conversion à la religion juive, qui fut aussi renforcé par de nombreux païens,  des « sobomenoï », ou des craignant Dieu, à la marge de ces convertis, qui avaient une grande admiration pour le Judaïsme mais qui ne se sont pas convertis. L'accroissement progressif de la secte des fidèles de Jésus, devenus plus tard, les Chrétiens, est due entre autres au passage de la plus part de ces nouveau Juifs et « craignant Dieu », du Judaïsme au Christianisme, qui était moins exigeant dans les pratiques rituelles. Avec l’avènement de l’Islam au VIIe siècle, la majeure partie des habitants autochtones de l’Afrique du Nord, les Berbères, convertis d’abord au Judaïsme, puis au Christianisme, furent pratiquement tous contrains à s’islamiser. Ce qui rend très probable, à mon avis, la constatation que les seuls nord-africains qui sont restés juifs ne devaient être que ceux qui, à l’origine, avaient émigrés de la Judée et de la Galilée. Par conséquent les Juifs nord africains dans leur grande majorité ne seraient pas des Berbères convertis mais des anciens Israelites et Judéens émigrés de leur pays, avant et après la guerre contre les Romains.
Durant tout le Moyen âge, l’Afrique du Nord et l’Espagne ne formaient qu’un seul domaine culturel et les lettrés juifs de l’époque passaient facilement d’une région à l’autre. Ce brassage de population ne permet plus de distinction ethnique entre les Juifs d’Espagne et ceux de l’Afrique du Nord. Cependant, avec l’expulsion des Juifs d’Espagne et du Portugal, après 1492, les juifs de la péninsule ibérique, devenue chrétienne, émigra en partie en Afrique du Nord et composa une communauté distincte par ses origines et son particularisme. On les appelle les megorashim les expulsés, par rapport aux toshabim les autochtones. Grace à ces nouveaux venus qui constituèrent une aristocratie locale, le dialecte judéo-arabe marocain, dans toute sa diversité, est encore truffé d’espagnol dans le domaine lexical. Jusqu’au XIXe siècle, on continua même de traduire dans des textes du droit juif, certains termes de l’hébreu en espagnol, pour qu’ils soient compris par le lecteur.
Bien avant le protectorat espagnol de 1912, l’Alliance Israélite Universelle établit des écoles françaises au nord du Maroc.  A Tétouan en 1862, à Larache en 1864, à Tanger en 1902. Cet avantage qu’avait la communauté juive du Nord du Maroc dans le domaine de la francisation scolaire entraina, après la guerre, une émigration vers la ville moderne de Casablanca. C’est ainsi que l’on peut trouver des originaires de Tétouan, Tanger, Ceuta, Larache et Melilla à la tète de la plupart des institutions sociales et culturelles juives à Casablanca. Citons entre autres S. D. Levy qui fonda la plus parts des institutions sociales et éducatives de la communauté, Alfonso Sabbah qui avec Jo Lasry et Daniel Levy étaient à  la tête de l’association Charles Netter qui regroupait en son sein tous les Mouvements de Jeunesse ; l’écrivain Carlos de Nesry ; le ministre du premier gouvernement marocain le docteur Leon Benzaquen, les hommes politiques de gauche : Meyer Toledeno et Marc Sabbah,, les militants communistes Sam Benharroch, Ralf Benharroch-Maudi, Abraham Serfati et Jo Bendellac, Le juristes qui défendaient la cause juive Helene Cazes Benattar, Akiba Benharroch et Salomon Benchabat. Et enfin deux personnalités juives restées dans l’ombre : Sam Benazeraf  et Isaac Cohen Olivar,  qui grâce à leur médiation, fut conclu l’accord de compromis pour l’évacuation des Juifs du Maroc, en aout 1961.
Yigal Bin-Nun
Université de Paris VIII
Bref CV